Ma Soeur de coeur

                 

Nous nous sommes rencontrée sur notre lieu de travail.

Plus précisément croisée dans l’un des longs couloirs du bâtiment.

Nos regards se sont accrochés,

nous avons toutes deux souri et sommes littéralement

« tombées en amitié »

 

Nous avions en commun d’être atypiques dans cette grande entreprise.

C’était le siège de la direction générale de l’horlogerie suisse.

Il n’y avait que des directeurs, sous-directeurs et secrétaire de direction, tous royalement payés.

 

J’avais 20 ans.

J’avais commencé comme intérimaire et finalement j’étais restée car,

étant polyvalente,

je faisais des incursions dans tous les secteurs,

pour des remplacements ou pour un coup de pouce quand les secrétaires étaient débordées et çà,

c’était sacrément intéressant.

 

Je disais donc que nous étions atypiques.

Elle était la seule femme cadre et moi,

du haut de mes 20 ans,

- à cette époque post-hippie -

je regardais ce monde de privilégiés avec la sévérité de la jeunesse.

J’étais impertinente et rebelle.

Je mettais un point d’honneur à me vêtir en total contraste avec les habits super-chics des autres secrétaires.

 

Mon amie se fichait totalement de ce qu’elle avait sur le dos.

Elle était bien au-dessus de cela.

Nous ne comprenions pas cette frivolité, ce snobisme que la plupart des secrétaires affichaient.

Nous passions nos pauses de midi à parler à bâtons rompus de pleins de sujets tandis que nos collègues parlaient maquillage ou mode.

Il me suffit de fermer les yeux pour revoir l’expression étonnée qu’elle avait lorsque l’une d’elle s’extasiait sur

« l’incroyable douceur de ce chemisier en soie »

ou

« la coupe impeccable de ce pantalon taille haute ».

 

 Elle était remarquablement intelligente, cultivée et GENTILLE.

Elle ne comprenait pas cet univers « féminin » mais elle ne critiquait jamais,

absolument jamais.

Elle aurait pu nous regarder toutes de haut

mais ce n’était pas dans sa nature.

Les secrétaires qui travaillaient pour elle l’aimaient.

 

 J’ai quitté cette entreprise mais nous sommes restées proches.

 

  

 

Un bébé a pointé son adorable petit bout de nez et mon amie est devenue une Maman.

 Avant cet heureux événement, j’ai fais huit fausses-couche en deux ans et demi.

 Je pleurais à chaque poussette que je croisais.

 Bien sûr lorsqu’on dépasse les 25 ans et qu’on est depuis longtemps avec le même compagnon,

il se trouve toujours quelqu’un pour dire la phrase qui tue

 « alors, ce bébé, c’est pour quand ? »


 Sachant cela, mon amie n’osait pas m’annoncer sa grossesse.

Elle craignait de me blesser et que je m’éloigne.

 Mais je l’aimais et son bonheur ne pouvait que me faire plaisir.

 Au lieu de me blesser, ce bonheur me guérissait.

 

Elle m’a fait participer à sa grossesse.

Presque tous les jours elle passait à mon lieu de travail pour que je dise bonjour au bébé.

 Je l’ai vue s’arrondir.

 Je l’ai vue s’épanouir.

 Et lorsque sa petite fille est née, j’ai été prévenue tout de suite.

 J’ai pu la voir alors qu’elle n’avait pas deux heures.

 

 Rentrée à la maison, ma « Sœur de cœur »  me téléphonait souvent en disant

 « je suis fatiguée ! tu peux t’occuper du bébé ? »

 Bien sur j’accourrais.

 En réalité, mon amie n’était pas fatiguée du tout.

C’était sa manière d’aller au devant de mes besoins,

de combler mon manque de maternité.

 

Elle me « prêtait » sa petite fille et grâce à cela j’ai pu guérir et accepter ma stérilité qu’entre-temps mon médecin avait confirmée.

 Connaissez-vous beaucoup de femme et mère capable d’une telle générosité ?

 Encore maintenant je suis bouleversée par tant d’amour.


  Je suis tombée très malade et je n’étais pas là lorsqu’elle a eu sa deuxième petite fille.

 Ensuite je me suis mariée et j’ai suivis mon mari dans le canton de Vaud.

 Les problèmes se sont accumulés et j’ai,

 par faute de temps, de moyen de transport et d’argent pour payer le train

  - mais pas par manque d’amour -

  négligé mon amie et ses petites filles.

Cela restera toujours un de mes regrets.

Dans mes mauvais moments, j’en veux à la vie de m’avoir fait ce coup là.


Ma « Sœur  de Cœur » est tombée malade en même temps que mon mari.

Elle a décidé de ne rien me dire, jugeant que j’avais assez de soucis.

Je l’ai appris par hasard, peu après le décès de mon mari.

 Cancer des os !


Elle attendait que mon chagrin soit moins vif pour me parler.

Ensuite elle est venue me voir dans mon canton de Vaud.

Nous avons parlé,

beaucoup parlé.

 Elle avait tellement de questions et j’avais des réponses.

 C’est délicat et terriblement difficile pour quelqu’un qui sait que sa fin approche de parler de cette fin,

de la peur,

de la douleur et surtout

de ses désirs pour « après ».

Quand elle a jugé que tout avait été dit,

elle a posé sa main sur la mienne et les yeux dans les yeux elle m’a dit

 « rentre à Bienne, je ne veux pas mourir sans toi »


 Alors je suis rentrée chez moi – à Bienne.

Nous avons pu profiter l’une de l’autre durant presque une année.

C’est inouï d’être aimée à ce point.

 

J’espère l’avoir mérité.

 



26/04/2012
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