Ma Lolo
J’ai une amie déjà âgée.
Je l’aime de tout mon cœur.
Nos parties de trio mino me manquent.
Nos bavardages me manquent.
Prendre parfois soin d’elle me manque.
Son accent italien me manque.
Elle me manque.
En quinze ans d’amitié je ne l’ai jamais entendu dire de mal de personne.
Pas une seule fois.
Pourtant, avec son caractère sacrément bien trempé d’italienne passionnée,
elle n’aime pas tout le monde, et quand elle n’aime pas, elle n’aime vraiment pas.
Mais elle ne critique jamais, ne dénigre jamais.
Simplement elle se tait.
S’il n’y avait pas cette petite crispation de la mâchoire et ce léger battement de cils,
on ne saurait pas qu’elle n’aime pas.
Elle et moi avions en commun
– en plus d’une réelle tendresse l’une pour l’autre –
cette douloureuse expérience de la fibromyalgie.
Nous avons fait parallèlement l’apprentissage de la douleur.
Notre amitié c’est renforcée.
Et puis il y a eu cette terrible année de canicule.
Comme beaucoup de personnes âgées elle a oublié de boire.
J’ai bien cru la perdre.
Il a fallu du temps, mais elle s’est remise.
A plus de septante ans elle a dû se résigner à
accepter de passer deux journées dans un établissement médicalisé.
Les autres jours elle peut rester chez elle.
Dans cet établissement on lui a mis un pinceau dans la main
et pour la première fois de sa vie elle a peint.
Bien sûr elle ne maîtrise pas la technique très difficile de l’aquarelle,
et pourtant le résultat est là.
Tout son tempérament ressort dans ses petits tableaux,
si bien que lorsque l’établissement a organisé une exposition des travaux des pensionnaires, plusieurs des siens ont été vendus.
Grâce à celui –ci j’ai pris un peu de mon amie avec moi à Bienne.
Pour le reste il y a le téléphone, mais ce n’est quand même pas la même chose.
Merci ma Lolo d'exister.
